La fin du taux plancher était-elle vraiment un « Black Swan » ?
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On appelle « cygne noir » un événement imprévisible qui a une faible probabilité et qui, s’il se réalise, a des conséquences d’une portée exceptionnelle. Aucun doute que la portée de la fin du plancher est considérable pour les entreprises suisses; en revanche, plusieurs signaux la laissaient prévoir. Tout d’abord, la parité EUR/CHF était immobile juste au-dessus de 1.20 depuis quelques mois, ce qui signifie que la BNS la soutenait en permanence. Ensuite, la BNS a instauré des taux négatifs le 18 décembre malgré les implications pour les banques.
Enfin, on a appris le 8 janvier que la BNS avait accru ses réserves de 33 mds de CHF en décembre, soit des niveaux proches des pires mois de 2012. Sachant que les réserves actuelles de la BNS équivalent à environ 80% du PIB (elle aurait acheté environ 350 mds d’euros depuis 2012), contre 20-25% pour les banques centrales européennes, britanniques et US. Une augmentation supplémentaire et massive des réserves aurait pu impliquer une perte de crédibilité de la BNS sur les marchés et des risques de pertes colossales en cas de rupture du plancher qui lui semblait apparemment inévitable.Quid de l’argument de la BNS selon lequel les entreprises ont eu le temps de s’adapter ?
D’une part, l’adaptation était compliquée pour les exportateurs avec une parité de pouvoir d’achat proche de 1.30. Il est en effet plus dur de passer de 1.20 à 1.05 en quelques jours que de 1.60 à 1.30 sur trois ans. D’autre part, nombre d’entreprises se sont laissé porter par le cours plancher du fait de sa solidité en 2012 et n’ont pas surveillé les signaux annonciateurs. Autour de la parité, l’adaptation va entraîner des remises à plat des modèles d’affaires et de production. Celles qui ont couvert 2015 suite aux signaux évoqués ont un an pour le faire, les autres non.
Quid de la suite ?
Même si le choc est rude, il ne faut pas oublier que les devises vont maintenant fluctuer en permanence. Leur volatilité devrait rester très élevée car plusieurs événements majeurs risquent de s’entrechoquer. D’une part, les cours du pétrole pourraient pousser le dollar US à la hausse en créant des tensions géopolitiques dans les pays qui ont besoin d’un cours à 100-130 USD pour équilibrer leurs budgets. D’autre part, la BCE pousse l’euro à la baisse et la parité avec le dollar est envisagée par certains pour 2015. Le cas échéant, la FED tentera de contrecarrer cette tendance en décalant la hausse des taux. La volatilité des changes viendra du décalage dans le temps de ces événements et de la puissance de chacun. Au final, la BNS aura peut-être du mal à contenir la hausse du franc si l’EUR/USD tend vers 1. Il lui faudra reprendre ses achats massifs d’euros, réduits ces derniers jours, pour maintenir l’EUR/CHF au-dessus de la parité.
Donc, que faire ?
Face à ces incertitudes, les entreprises ne peuvent plus faire l’économie d’une analyse approfondie de leurs risques de change et de leurs conséquences dans le cas de scénarios défavorables très significatifs (+/-20% sur 12 mois par exemple). Or, il existe beaucoup de risques de change « cachés » ou transformés en risques commerciaux ou de crédit, comme par exemple des facturations en CHF à des clients étrangers, qui demanderont des baisses de prix en cas de hausse du franc ou des contrats en franc indexés sur l’euro. Or ces risques « indirects » se couvrent bien plus difficilement que des facturations en devises étrangères. L’entreprise doit donc se poser plusieurs questions : quelles devises de facturation pour quels clients, quels fournisseurs, quelle couverture naturelle, quelles indexations, quel horizon de couverture (selon sa rapidité à encaisser les chocs), quels impacts sur les résultats, etc. De la réponse à ces questions doit normalement émerger une stratégie de couverture complémentaire à la stratégie industrielle et commerciale.